PARAVENT COLLAGE CHROMO XIXe

PARAVENT COLLAGE CHROMO XIXe

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// CHROMO / CHARNIÈRE DOUBLE / POIGNÉE EN ACIER
// l. 180 x ep. 3 x h. 160 CM

// PIÈCE UNIQUE

La transition numérique est-elle autre chose qu’une seconde Révolution industrielle ? Oublie-t-on trop vite cette seconde moitié du XIXe siècle durant laquelle, pour la première fois, vitesse et multiplication envahissent tous les recoins de quotidien au point que partout les images se démocratisent ? Elles sont désormais accessibles à tous ; c’est pour notre société une première dont on peine aujourd’hui encore à mesurer l’impact. Ce paravent à « découpures » se charge de nous rappeler que le goût pour l’accumulation, avant d’être une critique des excès de la consommation, fut à l’inverse un hommage.

Au milieu du XIXe siècle, les techniques d’imprimerie adoptent un modèle industriel portant mots et images à la portée de tous. Et c’est par la couleur que le luxe se distingue de l’ordinaire. Jusque dans les années 1930, la chromolithographie sera la seule capable de produire des impressions coloriées au terme d’un processus long, coûteux et, de fait, luxueux. S’éveille à sa suite une pratique curieuse que le XVIIe siècle avait initié dans les cours aristocratiques et que notre époque observe maintenant d’un œil amusé : le découpage et le collage d’images sur toutes sortes de supports - dont des paravents sont les plus appréciés - atteint son apogée dans les années 1860 bien que toujours vivace dans les années 1880 - 1890. L’engouement qui domine surtout dans l’Angleterre victorienne est alimenté par des livres d’images spécialement conçus pour cette pratique. Les motifs imaginés par des dessinateurs anglais sont imprimés en Allemagne dont la réputation en matière d’impression et de papiers de luxe n’est alors plus à faire. Très épais, les papiers allemands se démarquent des impressions ordinaires moins coûteuses, plus fines et fragiles réservées aux journaux et gazettes. Une production très spécialisée se met en place favorisant toujours les mêmes thèmes qui font le caractère des paravents à découpures : l’enfance, la botanique et les animaux domestiques, les paysages et les motifs architecturaux côtoient des personnages à l’allure exotique, des soldats également, des objets parfois (les théières sont en bonne place) ou encore des papillons et des oiseaux. Les paravents revenus en grâce dans les intérieurs victoriens sont alors le support de l’expression poétique des épouses et jeunes filles de la Middle class. Manuels spécialisés et critiques d’art dispensent leurs conseils de composition dont on relève toujours l’injonction à l’envolée artistique propre à entretenir la conversation de salon. L’accumulation d’images en couleur ne séduit pas seulement la gente féminine. Par sa nouveauté et son modernisme, la pratique attire à elle de grands noms comme en témoignent le paravents à découpures de boxeurs de Lord Byron (1788 - 1824) ou celui créé par Hans Christian Andersen (1805 - 1875) qui préférait quant à lui les grandes idées aux gros muscles, en déclinant sur chaque feuilles sa vision d’un pays par les portraits de ses personnalités politiques, scientifiques ou artistiques, accompagnés de monuments et particularités historiques ou culturelles.

Ne déconsidérons pas ce paravent trop éloigné de nos habitudes esthétiques contemporaines ; il est tout au contraire un de ses représentants majeurs. Car découpes et collages d’images ne sont pas des pratiques de prime jeunesse : elles apparaissent à la fin du XVIIe siècle à Venise qui en fait une spécialité désignée sous le nom d’Arte Povera, alors même que cette occupation est exclusivement celle des élites aristocratiques italiennes puis allemandes et françaises. L’Arte Povera des années 1960 - mouvement rebelle, critique de la société de consommation et de l’art des élites - s’est érigé comme un parfait antagoniste de cette pratique élitiste vénitienne puis européenne. On devine cette ironie volontaire.

Prenons notre paravent et opposons lui la Rag Chair de Tejo Remy : à démarche artistique similaire (l’accumulation), les moyens employés et le message porté sont en tous point opposés. À l’accumulation d’images sur ce paravent (1880 - 1890) emblème de la puissance d’une production industrielle qui n’en est qu’à ses débuts, les chiffons et guenilles de la Rag Chair (1991) sont les témoins modestes de l’emballement monstrueux de la machine. À l’esthétique de l’accumulation, deux antithèses séparées par un siècle illustrent les deux antipodes d’un même phénomène industriel. Entre temps, les Dadas, les surréalistes et autres cubistes s’emparent des découpages et collages et les détachent des préoccupations adultes à mesure que notre environnement s’épure. Aujourd’hui, ce paravent à découpures atteint l’objectif que s’était sans doute fixé sa créatrice ou son créateur dont la signature demeure toujours. La profusion et la diversité des images sont contraints par nos yeux contemporains à la seule évocation ravissante de l’émerveillement de l’enfance, seule période de notre vie où les images sont partout, curieuses, colorées et de toutes sortes de styles et de traits. Sans doute la démarche artistique de ce paravent à découpures a aujourd’hui pris le pas sur l’écho culturel et économique qu’il incarnait au tournant du XXe siècle.

Texte par Marielle Brie

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