LICORNES EN BOIS POLYCHROME XVIe
LICORNES EN BOIS POLYCHROME XVIe
// CHÊNE POLYCHROME
// L. 125 x l. 32 CM
// PIÈCE UNIQUE
La nature et le sujet de ces éléments en bois sculpté semblent d’une lecture simple. À première vue seulement. On peut d’abord s’interroger sur leur emplacement primitif car leur forme suggère une fonction de piédroit ou peut-être d’ébrasement. Mais leur contexte, civil ou religieux, ne se laisse pas deviner, pas même par le sujet dont le symbolisme religieux côtoie le motif laïc.
Sur ces deux espaces étroits, le sculpteur représente d’un côté une femme et une licorne et de l’autre un homme et une licorne. Ne s’agirait-il pas d’une chasse à la licorne ?
L’histoire commencerait avec ce personnage masculin qui semble jouer de la flûte au-dessus d’une licorne telle qu’elle est représentée à la fin du Moyen-Âge. La créature à la physionomie équine se fait monstre par hybridation et l’on voit une barbiche de bouc sous son auge, des sabots fendus comme des pattes et une corne torsadée. Sa robe autrefois bigarrée se fera de plus en plus blanche à l’approche de la Renaissance. Ses oreilles rabattues ne lui donnent pas l’air menaçant qu’elle arborait aux siècles précédents, s’accordant plutôt ici à sa réputation d’animal doux et pacifique, fréquente à la fin du Moyen-Âge. Auparavant terrifiante et belliqueuse, la voilà devenue méfiante et peureuse. Mais la difficulté de sa chasse exige toujours comme appât une jeune vierge que l’on feint d’abandonner dans les bois. La licorne, irrésistiblement attirée par la jeune fille - pour des raisons toujours liées à sa virginité - peut ainsi être tuée ou capturée. Il est à noter qu’une fois tuée, la licorne ressuscite toujours, comme c’est le cas dans la célèbre tenture de la Chasse à la licorne (1495 - 1505) conservée au MET Museum, à New-York.
On peut tout de même s’interroger sur ce qui semble être le stratagème employé ici pour chasser l’animal : l’homme semble jouer de la flûte. Si dans les textes les occurrences sont rares, elles existent pourtant : dans le folklore persan, la corne de la licorne est percée de trous et sonne comme une flûte lorsque le vent souffle. S’agirait-il ici d’attirer la licorne en imitant le son qu’elle produit ? Quoi qu’il en soit, l’homme a pu s’approcher très près de la licorne. Et cette volonté même de s’en approcher trahit la volonté de la chasser.
L’issue de la traque se lit sur le second élément sculpté. Une femme a pris la place de l’homme et la licorne est morte, un rictus macabre déforme sa gueule, très proche là encore de la tenture de La Chasse, lorsque La licorne est servie et conduite au château. Étonnement, la corne de la licorne n’est plus torsadée et l’animal porte un collier, symbole de sa nouvelle domesticité. Ce qui laisse imaginer qu’à l’instar de la tenture de La Chasse, la mort de la licorne n’est que le prélude à sa résurrection. Néanmoins, les deux évènements forment ici une seule et même image rendue lisible grâce à l’inventivité du sculpteur.
Les chasses à la licorne s’accompagnent au Moyen-Âge de lectures symboliques où l’on reconnaît dans la licorne chassée, le Christ confié à une Vierge puis tourmenté par les hommes. Pure et noble, la créature n’est digne que d’une figure à son égale, la dame de l’amour courtois. Le mythe oscille entre le folklore monstrueux et la quête spirituelle de l’Amour, qu’il soit laïc ou religieux.
Le mythe de la licorne et les fantasmes qui accompagnaient les prétendus pouvoirs de sa corne éveillèrent la convoitise. Les plus précieux cabinets de curiosité se devaient d’en posséder une. Concordant avec l’époque des grandes expéditions, l’escroquerie entreprit de satisfaire la demande, faisant de la corne mythique une réalité. Un trafic de rostres de narvals, vendus comme cornes de licornes véritables, fut mis en place au XVe et XVIe siècles. Objet rare et merveilleux devenu réalité, la corne auréolait encore davantage la symbolique qu’on lui prêtait.
Présentées à la galerie, ces sculptures médiévales trouvent un écho dans le Renard roux et l’Effraie domestique. Alternatives aux trophées de chasse, ils nous rappellent qu’à l’instar de la licorne, l’Homme cherche à s’approprier ce qui le fascine. Créer par l’art l’objet de l’admiration ne serait-il pas la meilleure façon de lui rendre hommage, sans dommage ?
Texte par Marielle Brie